Toucher la Lumière



Par une nuit de pleine lune
essaye de fixer la galaxie
Tu verras qu’elle est cours d’eau
avec tes bras pour affluents
ta poitrine pour estuaire

Aujourd’hui le ciel a écrit son poème
à l’encre blanche
Il l’a appelé neige

Ton rêve rajeunit tandis que tu vieillis
Le rêve grandit en marchant
vers l’enfance

Le rêve est une jument
qui au loin nous emporte
sans jamais se déplacer

Le nuage est las de voyager
Il descend à la plus proche rivière
pour laver sa chemise
A peine a-t-il mis les pieds dans l’eau
que la chemise se dissout
et disparaît

Une rose sort de son lit
prend les mains du matin
pour se frotter les yeux

Le palmier parle avec son tronc
la rose avec son odeur

Le vent et l’espace vagabondent
main dans la main

Arc-en-ciel ?
Unité du ciel et de la terre
tressés en une seule corde

Il marche sur les versants de l’automne
appuyé au bras du printemps

Le ciel pleure lui aussi
mais il essuie ses larmes
avec le foulard de l’horizon

Quand vient la fatigue
le vent déroule le tapis de l’espace
afin de s’y allonger

Dans la forêt de mes jours
aucune place
sauf pour le vent

Pour toucher la lumière
tu dois t’appuyer sur ton ombre

Je sens parfois que le vent
est un enfant qui crie
porté sur mes épaules

Comment décrire à l’arbre
le goût de son fruit ?
A l’arc
le travail de la corde ?

Telle une main
la lumière se déplace
sur le corps des ténèbres

C’est l’épaule de l’espace
qui s’effondre là-bas
sous les nuages noirs

L’espace dans l’œil de la guillotine
est lui aussi tête à couper

Tu ne peux être lanterne
si tu ne portes la nuit
sur tes épaules

Je conclurai un pacte avec les nuages
pour libérer la pluie
Un autre avec le vent
pour qu’il nous libère
les nuages et moi

La parole est demeure dans l’exil
chemin dans la patrie

Qu’il est étrange ce pacte
entre les vagues et le rivage –
le rivage écrit le sable
les vagues effacent l’écriture

Mémoire – ton autre demeure
où tu ne peux pénétrer
qu’avec un corps devenu
souvenir.


Adonis (Ali Ahmed Saïd Esber) (1930-)



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